Semestre d‘hiver 2023/24. La première semaine du semestre commence et avec elle mon séminaire sur l‘œuvre d‘Annie Ernaux, lauréate du prix Nobel de littérature l‘année précédente seulement, que j’ai intitulé « Provocations autobiographiques ». Dans le couloir, je croise une étudiante qui me crie : « À tout à l’heure au séminaire, nous avons tellement hâte de partir en excursion à Paris ! » Je suis étonnée et demande - « Quelle excursion ? » - je n’en avais ni prévu une ni demandé de fonds. Le malentendu est vite dissipé : dans le masque d‘inscription aux séminaires, l’excursion d’une collègue, qui avait eu lieu l’année précédente, était encore inscrite. Je ne l’avais pas remarqué lors de l’inscription de l’annonce de mon séminaire et ne l’avais pas supprimé. Lors de la première séance, douze visages attendus puis déçus me regardent. Que faire ? La plupart des participant(e)s souhaitent faire une sorte d’excursion et je promets de voir si quelque chose n’est pas possible. Pour l’instant, nous commençons par lire les textes. Par hasard, j’apprends quelques jours plus tard que le département doit encore dépenser des fonds restants qui, sinon, seraient perdus à la fin de l’année et je profite de l’occasion. Nous avons maintenant un petit budget que nous pouvons utiliser pour planifier une sorte d’excursion de dernière minute.
Mais quelle destination pourrait être judicieuse dans le cadre d‘un séminaire littéraire centré sur l’œuvre d’une écrivaine encore bien vivante ? Où devons-nous aller, que devons-nous voir qui soit susceptible d’apporter des connaissances pour l’interprétation des œuvres ? J’ai encore dans l’oreille une de ces remarques de l’un de mes professeurs de germanistique du temps où j’étais étudiante, qui disait avec mépris : « À quoi bon aller voir la maison de Lotte à Wetzlar (c’est là qu’habitait la vraie Lotte, que Goethe a connue à l’époque où il vivait à Wetzlar et dont il s’est inspiré pour le personnage de Lotte dans Les Souffrances du jeune Werther) » ? Ce genre de sentimentalisme touristique n’apporterait absolument rien à l’analyse des œuvres. Pour être honnête, un léger sentiment de honte ne m’a jamais quittée par la suite lorsque j’ai visité des maisons d’écrivain(e)s ou des lieux qui leur étaient lié(e)s. Et bien sûr, je suis quand même allé à la maison de Lotte à Wetzlar (saisie par la simplicitédes pièces et la petitesse de la maison), aussi à la maison de Balzac au Bois de Boulogne (on y avait entassé un énorme tas de grains de café et l’odeur du café était partout - Balzac était un buveur de café passionné) et je me suis aussi tenue sur la Place des Vosges et j’ai levé les yeux vers les fenêtres derrière lesquelles Victor Hugo avait autrefois vécu. Je ne sais pas si cela a influencé mes interprétations, mais quoi qu’il en soit, je me souviens bien de tout cela et j’associe une expérience personnelle de voyage aux œuvres et à la lecture de ces écrivain(e)s.
Mais le cas d‘Annie Ernaux est un peu différent à cet égard, car l‘auteure vit toujours et plus précisément à Cergy, non loin de Paris. Bien sûr, notre première idée est d‘avoir un entretien avec elle. Grâce à quelques contacts, nous pouvons effectivement lui adresser une demande en personne, mais à notre grande déception, elle refuse poliment. Et pourtant, nous pensons que la seule chose qui ait un peu de sens est un voyage à Cergy. Cergy, la Ville Nouvelle, abrégée en VN dans le journal d‘écriture d’Ernaux (Annie Ernaux : L‘Atelier noir, Gallimard, Collection Imaginaire 2022) : C’est une ville planifiée, créée sur une planche à dessin dans les années 1960, avec une architecture intéressante et impressionnante, qui a aujourd‘hui pris un coup de vieux. Dans Les Années (2008), Ernaux décrit sa vie là-bas, dans une ville sans histoire, où elle ne retrouve plus sa voiture après avoir fait ses courses, car tous les repères classiques ont échoué. Le documentaire Cergy – J‘ai aimé vivre là du réalisateur Régis Sauder, sorti en 2020, sera également une grande source d‘inspiration pour nous. Sauder montre Cergy aujourd‘hui, avec ses habitants, leurs histoires de vie liées à la Ville Nouvelle, leurs espoirs et leurs désirs. Et il montre Annie Ernaux dans sa ville, regardant par sa fenêtre, sur le pont de l‘Axe Majeure (regardez nos photos !) - et les habitants de Cergy lisent régulièrement des extraits des livres d‘Ernaux. C ‘est avec ces images en tête que nous repartons pour Cergy.
Ce que nous voulons y faire ? Nous avons opté pour un blog de voyage littéraire afin de confronter tout ce qui nous a occupés pendant notre séminaire, nos lectures, nos analyses etnos discussions, mais aussi les textes théoriques, à notre expérience personnelle. Trois groupes poursuivent trois objectifs différents à Cergy. Les réflexions théoriques et méthodologiques préalables se combinent sur place avec des idées et des rencontres spontanées. Pour nous, Cergy est devenu le lieu d’une expérience littéraire personnelle. Vous pouvez lire, voir et écouter les résultats ici. Nous vous souhaitons beaucoup de plaisir !